« Sous l’empire de Kronos qui commandait dans le ciel, les hommes vivaient comme des dieux, l’âme sereine. Ils ne connaissaient ni le travail, ni la douleur, ni la cruelle vieillesse ; leur corps gardait toujours sa vigueur. »
Mais Zeus vainc son père Kronos et, afin d’imposer aux hommes sa suprématie, il met fin à l’âge d’or et crée Pandora, la première femme, source de tous les fléaux à venir… Curieuse, elle ouvre la boîte mystérieuse que Zeus lui avait interdit d’ouvrir libérant ainsi tous les maux de l’humanité, au premier rang desquels la Vieillesse… Seule l’Espérance y reste enfermée.
C’est l’acte de naissance de la « cruelle vieillesse », selon Hésiode, poète grec du 7ème siècle avant JC, dans Les Travaux et les Jours.
La Vieillesse est intégrée dans un système de compréhension générale du monde, transmis de l’Antiquité gréco-romaine au monde chrétien. Il existe une unité harmonique entre l’homme (microcosme) et l’ensemble du cosmos (macrocosme), dans laquelle la symbolique des nombres joue un grand rôle. Ainsi, selon les tétrades de Pythagore, les 4 âges de l’homme correspondent aux saisons, aux périodes de la journée, aux éléments, aux humeurs, aux tempéraments… Ptolémée enrichit le modèle en proposant sept âges qui correspondent aux sept planètes alors connues, les douze signes du Zodiaque se répartissant en quatre groupes de trois signes (feu, terre, air, eau) sous le contrôle des 7 planètes.
La vieillesse, sous le signe de Saturne, se retrouve associée à l’hiver, à la nuit, à la mélancolie, ce qui n’est pas la meilleure part, convenons-en. Saturne, le Dieu aux pensées fourbes, est la version latine de Kronos, celui qui castre avec une faucille son père Uranus et qui dévore ses enfants, celui que Zeus/Jupiter anéantira. Insensiblement, l’image de Kronos se confond d’abord avec celle de son homophone, Chronos, Dieu du Temps, puis avec celle du Vieillard Temps, personnification prenant les traits d’un vieillard doté de béquilles, d’une faux et d’un sablier, enfin avec celle de la Faucheuse, allégorie de la Mort qui prend la forme d’un squelette mais conserve la faux et le sablier.
Les Grecs, amoureux de la beauté idéale, ont préféré figer dans le marbre les dieux et les héros, de l’Apollon du Belvédère à la Vénus d’Arles, plutôt que de représenter les figures de la décrépitude. Ils nous ont cependant transmis à travers leur littérature les différents modèles de vieillesse que l’art occidental développera ensuite : le vieillard dépendant, comme Anchise, le vieillard ridicule, avare ou lubrique d’Aristophane puis de Plaute, le vieillard noble et sage comme Priam, Nestor ou le vieil Œdipe de Sophocle.
Dans l’art chrétien, de sages et respectables vieillards deviennent les sujets peints ou sculptés par les artistes, qu’il s’agisse de Dieu le Père, de la plupart des patriarches et des prophètes, de certains apôtres ou saints (Pierre, Jérôme ou Joseph) et saintes (Anne et Elisabeth) de toute première importance. Mais nous retrouvons aussi les « vilains vieillards », incarnant alors les péchés capitaux d’orgueil, d’avarice, de luxure ou d’envie.
L’art profane est tout aussi riche en représentations de personnes âgées : autoportraits d’artistes, portraits de leurs parent ou commanditaires, souvent riches et puissants (ecclésiastiques, aristocrates, grands bourgeois…).
La peinture de genre a popularisé le goût pour la représentation du quotidien et de ses protagonistes : familles ordinaires, incluant toutes les générations, dignes paysans français ou hollandais délurés du XVIIe siècle, grands-parents un peu mièvres de l’époque victorienne. Elle finit par prendre comme sujet toutes les images de la vie vécue, celles qui incarnent le temps qui passe, la beauté qui se fane, la santé qui décline, le deuil, la solitude et la proximité inéluctable de la mort. Les poignantes représentations des premières « maisons de retraite » en témoignent.
Au XXe siècle, les artistes se désintéressent semble-t-il de la représentation des personnes âgées, ce qui traduit sans doute une forme de déni de la vieillesse, que la période contemporaine qualifie de « jeunisme » ou d’« âgisme ». Il existe cependant des exceptions significatives, dans le sillage du mouvement féministe par exemple, sur lesquelles nous conclurons ce vaste panorama.
Béatrice BEAUFILS